Membres

mardi 29 avril 2014

Hommage à Régine Deforges Entretien

DR
Hommage à Régine Deforges

J’étais encore étudiant quand je débutais dans le journalisme. Je me souviens avec émotion de mes premiers grands entretiens : des écrivains. Hector Bianciotti, qui devait entrer à l’Académie française, Jean-Marie Pelt, fondateur de l’Institut Européen d’Ecologie et Régine Deforges, que j’admirais particulièrement. Je me rendis ce jour-là dans son petit appartement, niché sous les toits de Saint-Germain des Près, là où elle aimait écrire. Elle fut émue par le bouquet de fleurs derrière lequel je me cachais. Sympathique, souriante, sincère, telle était cette grande dame des lettres, entre Colette et George Sand. Ses nombreux best-sellers ne font pas oublier qu’elle milita ardemment pour la cause féminine et aussi contre toutes les injustices..
Qui n’a pas lu sa « Bicyclette bleue », un des plus grands succès de l’édition française, une saga dont elle avait publié en 2007 le dixième volume « Et quand viendra la fin du voyage... » Une histoire éditée chez Ramsay commencée en 1981 et librement inspirée par « Autant en emporte le vent » de Margaret Mitchell. Transposée en 1942. Régine Deforges poursuit alors les aventures de ses héros, Léa et François, sous l'Occupation allemande. Les trois premiers titres, traduits dans une vingtaine de langues, se vendent à sept millions d'exemplaires ! Elle fait de nombreuses recherches dans la presse de l'époque, recueille des témoignages... entraîne ses personnages dans la guerre d'Indochine, puis dans le conflit algérien. Le procès pour plagiat intenté par les héritiers de Margaret Mitchell durera dix ans. La romancière sera finalement acquittée. Une très grande icône de la littérature nous a quittés. Hommage.

Qui est Dieu pour vous ? C’est une question que, d’ordinaire, on ne pose qu’aux théologiens, aux mystiques, aux ecclésiastiques ou aux militants laïcs déclarés. Pourquoi la réserver à des « spécialistes » ? Je l’ai posée à quelques personnalités connues pour de tout autres motifs. Résultat : une série d’entretiens sans fard, passionnants. Lors de ma rencontre avec Régine Deforges, l’auteure se confia à cœur ouvert. Au cours de cette conversation à bâtons rompus, nous avons souvent évoqué Dieu. Je ne résiste pas au bonheur de vous faire partager ses propos lumineux.

Régine Deforges : « Partout, à tout moment, Il vit avec moi »

Dans son roman « Sous le ciel de Novgorod », Régine Deforges ressuscite Anne de Kiev, princesse de Russie partie de son pays pour aller se marier avec le roi Henri de France en 1051. Cette superbe fresque historique, qui a les couleurs et la ferveur des icônes, réveille les cœurs les plus las : « Regarde autour de toi, tout ici est l’œuvre du divin Créateur… Dieu est partout, l’air que nous respirons est chargé de Son amour », dit un ermite retiré au sein de la forêt. Dieu, chez Régine Deforges, l’éditrice sulfureuse qui naguère déchaînait la chronique par la publication d’œuvres érotiques ? L’auteur de la « Bicyclette bleue », qui est aussi mère de trois enfants, a donc une âme ! Intrigué, je lui ai demandé si elle voulait bien en parler avec moi. Voici le compte-rendu de notre conversation, un jour de printemps.

Dans votre roman, j’ai très souvent senti la présence de Dieu. Votre héroïne, Anne de Kiev, prie beaucoup. Qui est Dieu pour vous ?

Quelque chose en moi se révolte contre l’existence de Dieu. Une autre part de moi l’admet, s’en entoure. J’ai un combat perpétuel entre ces deux notions. Je pense certaines fois qu’à l’origine Dieu était une invention charitable des hommes, qui a pu être dévoyée au fil des siècles. Certains se sont servis de cette idée pour opprimer davantage les hommes. La prière est présente dans le roman parce que le XIème siècle, comme tout le Moyen-âge, est une période très religieuse, où la présence de Dieu n’est pas mise en doute, même s’il a des hérésies, des interrogations. François Mauriac a dit : « Il n’est pas nécessaire de croire pour prier. » Je fais partie de ces gens qui prient, comme ça, constamment. Quand les choses sont bonnes, je remercie Dieu de me les avoir envoyées, et quand elles sont mauvaises, surtout quand je vois le monde aller comme il va, j’aurais plutôt tendance à l’insulter ! Ce n’est pas tout d’une pièce !

Vous croyez d’un côté, vous ne croyez pas de l’autre.

Je pense que beaucoup sont dans la même situation. Pour les neuf dixièmes des gens qui font baptiser leur enfant, ce n’est qu’un acte social. Mes trois enfants ne sont pas baptisés, mais je les ai tenus informés. Mon fils, qui est historien, est passionné d’histoire religieuse.
On trouve beaucoup de références à Dieu dans votre livre. Vous citez « L’Apocalypse », de saint Jean…
C’est un de mes textes de référence. Je ne connais pas de livre plus étonnant. C’est un livre magique, au sens fort du terme. Je lisais « L’Apocalypse » à mes enfants quand ils étaient petits. J’en ai fait un livre de dessins (édité chez Ramsay).

Dans votre roman, l’amour d’Anne transcende les obligations de l’époque : veuve du roi, elle se remarie. Elle fait des choses que la société trouve choquantes et, en même temps, elle est dans le vrai. Sa croyance en Dieu est très pure.

C’est quelqu’un de très simple. A cette époque, les modes de pensée n’étaient pas du tout les mêmes que maintenant. Ils ont une foi simple, qui me touche énormément. C’est celle que je préfère, la foi du Moyen-âge. Une foi très enfantine… La simplicité est la clef de beaucoup de choses. Si les gens étaient plus simples, ils seraient davantage à l’écoute de leurs semblables, de leurs corps, de la terre, des saisons. C’est vrai que nous vivons maintenant dans des villes, où il y a des écrans entre l’être humain, la nature et le Divin. Ce sont des choses très pernicieuses, comme la télévision. Par le biais d’images, on accepte l’inacceptable. Il y a un sadisme qui s’est développé. Nous sommes tous responsables.

Est-ce dû à un « déclin » de la foi ?

Je ne peux pas savoir… Au nom de Dieu, c’est fou que qu’on a pu commettre d’abominations. C’est pour cela que les rapports de l’homme avec Dieu ne sont pas des rapports clairs. Quand j’étais enfant, vers douze ans, j’avais une très grande exigence vis-à-vis de l’Eglise. Je voulais pour les serviteurs de Dieu une rigueur de comportement que je ne trouvais pas chez les religieuses ou les prêtres qui s’occupaient de nous.

Est-ce que le Dieu de votre enfance est le même pour vous aujourd’hui ?

Oui, j’ai conservé avec lui un rapport très enfantin. Je me rends compte que si je prie, je prie de la même 
façon que quand j’étais petite.

Avez-vous déjà rencontré Dieu ?

Non, je ne dirais pas ça. L’idée de Dieu est présente partout… Dans la terre, dans les arbres. Je suis très sensible à la nature, à ses manifestations. C’est une façon de sentir le monde. Par moments, on peut avoir l’impression que Dieu existe parce qu’on se sent vivre, tout simplement. Ce sont des moments très agréables : se sentir vivre, bouger. Le mal qu’a fait l’Eglise pendant des années, ça a été la contrainte du corps. Si nous sommes des créatures de Dieu, le corps en fait partie : il doit manifester le plaisir qu’il éprouve à vivre pour témoigner de l’existence de Dieu.

Agissez-vous dans la vie en fonction de vos rapports avec Dieu ?

J’essaie de ne pas faire de tort à mon prochain, de me conduire le plus honnêtement au sens moral du terme. Je ne crois pas que Dieu ait grand-chose à faire de ça. Mais c’est vis-à-vis de moi-même. C’est une question d’honneur. Un jour quelqu’un m’a dit cette phrase superbe : « L’honneur, c’est l’idée qu’on a de soi. »

Est-ce que Dieu vous aide ?

Il m’aide autant que les gens qui ont vécu avant moi. Si on admet que Dieu est en chacun de nous, oui… Il y a plein de choses qu’on ignore du fonctionnement du monde, de l’esprit, de l’âme, et je crois qu’il faut être très réceptif, très humble, ne pas avoir des idées toutes faites sur tout : être en état d’ouverture, être en état d’abandon entre les mains de Dieu -C’est Bossuet qui le dit- être en état d’abandon, c’est-à-dire de réceptivité, d’écoute, que ce soit de l’autre, que ce soit du monde, que ce soit de Dieu, que ce soit quand vous écrivez… Je suis humble quand j’écris. Je guette.

Pourtant, quand vous écrivez, vous êtes Dieu : vous créez des personnages qui vivent.

Je n’aurais pas cette outrecuidance. Je crée comme tout créateur, comme tout artiste, mais on crée avec ceux qui nous ont précédés. Dieu, s’Il existe, est à l’origine de tout. Nous, nous sommes un maillon de la chaîne, un grain de sable. Ce qui touche à la religion m’intéresse. Peut-être qu’un jour, j’écrirai moi-même une histoire sur un ordre religieux. Je trouve que les fondateurs, les saint Benoît, saint Dominique, Thérèse d’Avila ont une démarche intellectuelle et spirituelle passionnante.

Dieu est-il d’actualité ?

Je vais vous répondre par une boutade : Dieu est de toute éternité. Les rapports avec Dieu, actuellement, ne sont plus très intéressants, peut-être parce que la foi n’est plus pure et qu’il n’y a plus suffisamment de candeur, de sincérité tout simplement. Il y a des gens qui se disent chrétiens et croyants et qui portent la mesquinerie et la petitesse d’esprit sur leur visage. Je me dis que ça ne devrait pas être comme ça ! Je suis peut-être trop exigeante.



Aucun commentaire: