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Hommage à Régine Deforges
J’étais encore
étudiant quand je débutais dans le journalisme. Je me souviens avec émotion de
mes premiers grands entretiens : des écrivains. Hector Bianciotti, qui
devait entrer à l’Académie française, Jean-Marie Pelt, fondateur de l’Institut
Européen d’Ecologie et Régine Deforges, que j’admirais particulièrement. Je me
rendis ce jour-là dans son petit appartement, niché sous les toits de
Saint-Germain des Près, là où elle aimait écrire. Elle fut émue par le bouquet
de fleurs derrière lequel je me cachais. Sympathique, souriante, sincère, telle
était cette grande dame des lettres, entre Colette et George Sand. Ses nombreux
best-sellers ne font pas oublier qu’elle milita ardemment pour la cause
féminine et aussi contre toutes les injustices..
Qui n’a pas lu sa
« Bicyclette bleue », un des plus grands succès de l’édition
française, une saga dont elle avait publié en 2007 le dixième volume « Et
quand viendra la fin du voyage... » Une histoire éditée chez Ramsay
commencée en 1981 et librement inspirée par « Autant en emporte le
vent » de Margaret Mitchell. Transposée en 1942. Régine Deforges poursuit
alors les aventures de ses héros, Léa et François, sous l'Occupation allemande.
Les trois premiers titres, traduits dans une vingtaine de langues, se vendent à
sept millions d'exemplaires ! Elle fait de nombreuses recherches dans la
presse de l'époque, recueille des témoignages... entraîne ses personnages dans
la guerre d'Indochine, puis dans le conflit algérien. Le procès pour plagiat
intenté par les héritiers de Margaret Mitchell durera dix ans. La romancière
sera finalement acquittée. Une très grande icône de la littérature nous a
quittés. Hommage.
Qui est
Dieu pour vous ? C’est une question que, d’ordinaire, on ne pose qu’aux
théologiens, aux mystiques, aux ecclésiastiques ou aux militants laïcs
déclarés. Pourquoi la réserver à des « spécialistes » ? Je l’ai
posée à quelques personnalités connues pour de tout autres motifs.
Résultat : une série d’entretiens sans fard, passionnants. Lors de ma
rencontre avec Régine Deforges, l’auteure se confia à cœur ouvert. Au cours de
cette conversation à bâtons rompus, nous avons souvent évoqué Dieu. Je ne
résiste pas au bonheur de vous faire partager ses propos lumineux.
Régine Deforges :
« Partout, à tout moment, Il vit avec moi »
Dans son
roman « Sous le ciel de Novgorod », Régine Deforges ressuscite Anne
de Kiev, princesse de Russie partie de son pays pour aller se marier avec le
roi Henri de France en 1051. Cette superbe fresque historique, qui a les
couleurs et la ferveur des icônes, réveille les cœurs les plus las :
« Regarde autour de toi, tout ici est l’œuvre du divin Créateur… Dieu est
partout, l’air que nous respirons est chargé de Son amour », dit un ermite
retiré au sein de la forêt. Dieu, chez Régine Deforges, l’éditrice sulfureuse
qui naguère déchaînait la chronique par la publication d’œuvres
érotiques ? L’auteur de la « Bicyclette bleue », qui est aussi
mère de trois enfants, a donc une âme ! Intrigué, je lui ai demandé si
elle voulait bien en parler avec moi. Voici le compte-rendu de notre
conversation, un jour de printemps.
Dans
votre roman, j’ai très souvent senti la présence de Dieu. Votre héroïne, Anne
de Kiev, prie beaucoup. Qui est Dieu pour vous ?
Quelque
chose en moi se révolte contre l’existence de Dieu. Une autre part de moi
l’admet, s’en entoure. J’ai un combat perpétuel entre ces deux notions. Je
pense certaines fois qu’à l’origine Dieu était une invention charitable des
hommes, qui a pu être dévoyée au fil des siècles. Certains se sont servis de
cette idée pour opprimer davantage les hommes. La prière est présente dans le
roman parce que le XIème siècle, comme tout le Moyen-âge, est une période très
religieuse, où la présence de Dieu n’est pas mise en doute, même s’il a des hérésies,
des interrogations. François Mauriac a dit : « Il n’est pas
nécessaire de croire pour prier. » Je fais partie de ces gens qui prient,
comme ça, constamment. Quand les choses sont bonnes, je remercie Dieu de me les
avoir envoyées, et quand elles sont mauvaises, surtout quand je vois le monde
aller comme il va, j’aurais plutôt tendance à l’insulter ! Ce n’est pas
tout d’une pièce !
Vous
croyez d’un côté, vous ne croyez pas de l’autre.
Je pense
que beaucoup sont dans la même situation. Pour les neuf dixièmes des gens qui
font baptiser leur enfant, ce n’est qu’un acte social. Mes trois enfants ne
sont pas baptisés, mais je les ai tenus informés. Mon fils, qui est historien,
est passionné d’histoire religieuse.
On
trouve beaucoup de références à Dieu dans votre livre. Vous citez
« L’Apocalypse », de saint Jean…
C’est un
de mes textes de référence. Je ne connais pas de livre plus étonnant. C’est un
livre magique, au sens fort du terme. Je lisais « L’Apocalypse » à
mes enfants quand ils étaient petits. J’en ai fait un livre de dessins (édité
chez Ramsay).
Dans
votre roman, l’amour d’Anne transcende les obligations de l’époque : veuve
du roi, elle se remarie. Elle fait des choses que la société trouve choquantes
et, en même temps, elle est dans le vrai. Sa croyance en Dieu est très pure.
C’est
quelqu’un de très simple. A cette époque, les modes de pensée n’étaient pas du
tout les mêmes que maintenant. Ils ont une foi simple, qui me touche
énormément. C’est celle que je préfère, la foi du Moyen-âge. Une foi très
enfantine… La simplicité est la clef de beaucoup de choses. Si les gens étaient
plus simples, ils seraient davantage à l’écoute de leurs semblables, de leurs
corps, de la terre, des saisons. C’est vrai que nous vivons maintenant dans des
villes, où il y a des écrans entre l’être humain, la nature et le Divin. Ce
sont des choses très pernicieuses, comme la télévision. Par le biais d’images,
on accepte l’inacceptable. Il y a un sadisme qui s’est développé. Nous sommes
tous responsables.
Est-ce
dû à un « déclin » de la foi ?
Je ne
peux pas savoir… Au nom de Dieu, c’est fou que qu’on a pu commettre
d’abominations. C’est pour cela que les rapports de l’homme avec Dieu ne sont
pas des rapports clairs. Quand j’étais enfant, vers douze ans, j’avais une très
grande exigence vis-à-vis de l’Eglise. Je voulais pour les serviteurs de Dieu
une rigueur de comportement que je ne trouvais pas chez les religieuses ou les
prêtres qui s’occupaient de nous.
Est-ce que le Dieu de votre enfance est le même pour vous aujourd’hui ?
Oui,
j’ai conservé avec lui un rapport très enfantin. Je me rends compte que si je
prie, je prie de la même
façon que quand j’étais petite.
Avez-vous
déjà rencontré Dieu ?
Non, je ne dirais pas ça. L’idée de Dieu est présente partout… Dans la terre,
dans les arbres. Je suis très sensible à la nature, à ses manifestations. C’est
une façon de sentir le monde. Par moments, on peut avoir l’impression que Dieu
existe parce qu’on se sent vivre, tout simplement. Ce sont des moments très
agréables : se sentir vivre, bouger. Le mal qu’a fait l’Eglise pendant des
années, ça a été la contrainte du corps. Si nous sommes des créatures de Dieu,
le corps en fait partie : il doit manifester le plaisir qu’il éprouve à
vivre pour témoigner de l’existence de Dieu.
Agissez-vous
dans la vie en fonction de vos rapports avec Dieu ?
J’essaie
de ne pas faire de tort à mon prochain, de me conduire le plus honnêtement au
sens moral du terme. Je ne crois pas que Dieu ait grand-chose à faire de ça.
Mais c’est vis-à-vis de moi-même. C’est une question d’honneur. Un jour
quelqu’un m’a dit cette phrase superbe : « L’honneur, c’est l’idée
qu’on a de soi. »
Est-ce
que Dieu vous aide ?
Il m’aide autant que les gens qui ont vécu avant moi. Si on admet que Dieu est
en chacun de nous, oui… Il y a plein de choses qu’on ignore du fonctionnement
du monde, de l’esprit, de l’âme, et je crois qu’il faut être très réceptif,
très humble, ne pas avoir des idées toutes faites sur tout : être en état
d’ouverture, être en état d’abandon entre les mains de Dieu -C’est Bossuet qui
le dit- être en état d’abandon, c’est-à-dire de réceptivité, d’écoute, que ce
soit de l’autre, que ce soit du monde, que ce soit de Dieu, que ce soit quand
vous écrivez… Je suis humble quand j’écris. Je guette.
Pourtant,
quand vous écrivez, vous êtes Dieu : vous créez des personnages qui
vivent.
Je
n’aurais pas cette outrecuidance. Je crée comme tout créateur, comme tout
artiste, mais on crée avec ceux qui nous ont précédés. Dieu, s’Il
existe, est à l’origine de tout. Nous, nous sommes un maillon de la
chaîne, un grain de sable. Ce qui touche à la religion m’intéresse. Peut-être
qu’un jour, j’écrirai moi-même une histoire sur un ordre religieux. Je trouve
que les fondateurs, les saint Benoît, saint Dominique, Thérèse d’Avila ont une démarche
intellectuelle et spirituelle passionnante.
Dieu
est-il d’actualité ?
Je vais
vous répondre par une boutade : Dieu est de toute éternité. Les rapports
avec Dieu, actuellement, ne sont plus très intéressants, peut-être parce que la
foi n’est plus pure et qu’il n’y a plus suffisamment de candeur, de sincérité
tout simplement. Il y a des gens qui se disent chrétiens et croyants et qui
portent la mesquinerie et la petitesse d’esprit sur leur visage. Je me dis que
ça ne devrait pas être comme ça ! Je suis peut-être trop exigeante.